The Ink Link au Laos pour l'AFD
mars 2019 – Récit de missionOn nous demande souvent : c'est quoi une mission de The ink link ? Vous allez où ? Et pourquoi envoyer des artistes sur le terrain ? Alors on a décidé de vous raconter notre dernière aventure !
Le contexte : en septembre 2018, l’Agence française de développement nous a confié l’accompagnement en dessin du projet NUSAP - Nutrition Sensitive Agriculture Project - mené avec le ministère de l’agriculture laotien et financé par l'Union Européenne. Le but de leur programme ? Donner les moyens à 400 villages d’améliorer leurs pratiques agricoles et, de fait, leur alimentation. Concrètement, une bourse sera distribuée et devra être investie à la fois dans un projet familial et dans un projet communautaire.
Et le dessin dans tout ça, me direz-vous ?
Eh bien, quel meilleur outil sur le terrain pour recueillir les témoignages ? Et quel meilleur médiateur ensuite pour transmettre les informations ?
En novembre dernier, une première équipe The Ink Link constituée de Laure Garancher, experte en projet de développement et dessinatrice, et de Coldefy Olivier, psychologue expert ont rejoint l’équipe NUSAP à Luang Prabang dans le nord du Laos pour se rendre dans plusieurs villages.
Ils ont pu utiliser le dessin comme moyen de médiation pour recueillir les habitudes alimentaires et repérer des éléments culturels. Cette période d’immersion a permis de confronter la première version du projet et les besoins du terrain.
La situation quotidienne dans les villages est précaire : travailler aux champs, vendre ses récoltes et pouvoir se nourrir toute l'année, il est rare d'arriver à l'équilibre. Les habitants vivent au jour le jour et ont des difficultés à se projeter. La médiation parait la clé de réussite du projet : les équipes NUSAP vont devoir conseiller et accompagner les bénéficiaires dans leurs décisions.
Au retour, nous délimitons nos actions : un premier document de présentation générale du projet sera créé en infographie aussi bien pour les équipes administratives que le terrain. Une deuxième création est aussi prévue : réaliser une fiction à destination des habitants pour les aider dans le choix de leur projet agricole.
PS : le squelette n'est pas là pour effrayer mais bien pour expliquer la nutrition ;)


La deuxième mission s'organise : un auteur de BD confirmé, Jean Dytar, scénariste et dessinateur, est alors choisi pour réaliser cette histoire. Accompagné de Hélène, linker, interprète, suivi de projet, test culinaire (à The Ink Link, on cumule!) il s’est rendu à son tour dans la région de Luang Prabang en février 2019. C’est donc moi, Hélène, qui vous raconte notre semaine au Laos.
Évidemment avant de partir, on a lu les rapports fournis par NUSAP et les premières analyses de nos collègues Laure et Olivier. On s’est renseignés sur l’histoire de la région, ses pratiques ouvrières, et la météo locale pour être prêts à travailler par 35° en février !
Jours 1 & 2. Officiellement, c’est le week-end, on essaye de rattraper le décalage horaire. Officieusement, on ne peut s’empêcher de faire quelques repérages. On profite de la richesse culturelle de Luang Prabang pour aller visiter des temples. On y observe les modes de narration : la vie de Bouddha est un modèle parfait pour comprendre le découpage, le style des dessins et les représentations. On étudie les mosaïques, les couleurs, on s’imprègne de l’architecture particulière du Laos et ses toits uniques.
On profite aussi d’être en ville pour chercher la bibliothèque et aller feuilleter les publications des éditeurs nationaux. Pour les visuels, la section jeunesse fait notre bonheur et nous y découvrons la faune, la flore et les contes locaux avec plaisir !


Jours 3 & 4 : dans les bureaux de NUSAP, on rencontre enfin physiquement les équipes, on collecte le maximum d’infos, de documents existants, leurs récentes avancées, on choisit avec eux les priorités. Des spécialistes de l’agriculture et de la nutrition sont aussi présents et nous renseignent sur les habitudes spécifiques de la région concernée. Notre histoire devra intégrer les bénéficiaires de leur campagne : les femmes enceintes ou avec de jeunes enfants. Elle devra les aider à se projeter dans un projet sur le long terme et correspondre à leurs attentes et à leurs moyens.
On fait une petite pause pour aller rencontrer un éditeur laotien : Big Brother Mouse. Il y a plusieurs années, la structure a été créée pour répondre au manque de livres dans les villages. Les auteurs locaux y écrivent des textes originaux pour donner accès à la lecture au plus grand nombre. Ils ont aujourd’hui publié plus d'une centaine d'histoires et interviennent dans tout le pays.
À partir de toutes les données, Jean Dytar élabore un premier scénario sous forme de storyboard. Notre auteur réfléchit directement en dessin ce qui est un peu perturbant pour les personnes extérieures au monde de la BD ! Mais l’histoire prend forme et on teste les pages crayonnées sur le staff laotien pour avoir les réactions instinctives.

Jours 5 & 6 : pour être au plus près de la réalité, notre dessinateur a besoin de voir les lieux de vie et de rencontrer les futurs bénéficiaires. L’équipe nous a donc prévu une voiture, un chauffeur et un interprète pour 2 jours de terrain. On part avec nos questions et le regard aiguisé : repérer l’existant, cerner l’idéal et tester notre mode de narration.
Des temps d’échanges sont organisés grâce aux intermédiaires locaux, les habitants partagent volontiers leurs expériences : inquiétudes et espoirs. On leur montre une page de BD et nous assurons que la lecture de haut en bas puis de gauche à droite ne pose pas de problème. Il faut remettre en question tous nos acquis et habitudes d’occidentaux pour être au service du projet.
Jean observe, croque, s’imprègne, je note, questionne, photographie. Nous savons que ces données visuelles nous serviront de documentation une fois rentrés. Nous visitons plusieurs villages très différents, certains sont dans le besoin, d’autres ont bénéficié de précédents projets agricoles. Ils nous permettent d’observer la situation actuelle et les réalisations possibles.

Jours 7 & 8 : de retour au bureau, notre fiction s’est enrichie des témoignages récoltés et des situations vues. Jean encre son storyboard crayonné. Le récit complet fait maintenant 7 planches, nous le présentons aux membres NUSAP qui valident le contenu et approuvent nos choix narratifs.
Nous avons pris le parti d’une héroïne principale, maman d’un jeune garçon malade et enceinte. La perspective du deuxième enfant l'encourage à chercher un moyen d’améliorer leurs conditions de vie. La rencontre d’une facilitatrice NUSAP lui apportera les réponses dont elle a besoin.
L'histoire intègre un visuel central en pleine page qui résume toutes les activités agricoles. Cette page permet de visualiser concrètement les différentes options proposées aux villageois et peut être utilisée indépendamment pour présenter l'ensemble du projet.
Il est déjà temps de quitter ce pays si généreux. Jean rentre avec du travail pour plusieurs semaines, nous sommes tous impatients de découvrir les dessins de notre histoire et les traits de nos rencontres !